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Coup de griffe noire - Confitures de culture


pierre-jourde.blogs.nouvelobs.com

             J’admire les libraires. Ces gens-là prennent beaucoup de risques (financiers, j’entends) et travaillent comme des fous pour défendre la littérature. Enfin, les vrais libraires. Sans eux, il ne resterait plus guère, en matière de littérature française, qu’Angot et Musso. Ceux qu’on voit à la télé et dont on parle dans les journaux. Ces libraires aident des centaines d’écrivains moins constamment médiatisés à atteindre un certain public. Un libraire passionné peut vendre des centaines d’exemplaires d’un livre qui n’a bénéficié d’aucune presse. La perte de légitimité des critiques journalistiques, dont beaucoup défendent depuis des lustres les mêmes nullités, a fait qu’on a fini par faire appel aux libraires pour critiquer les livres, en se disant qu’ils seraient peut-être plus crédibles.
Mais il ne faut jamais généraliser.  
           Beaucoup d’entre vous, même si ils ne sont pas parisiens, ont sans doute entendu parler de la librairie La Griffe noire, à Saint-Maur des fossés (94). Vous savez, c’est cette librairie qui ressemble à une solderie de vaisselle déstockée, et qui s’intitule elle-même, non sans lucidité, « l’épicerie du livre » : une des raisons de leur immense succès, c’est qu’ils ont eu l’idée de coller sur tous les livres des étiquettes fluo qui donnent leur avis, ou les préférences de leurs clients. L’autre raison tient à l’un des libraires, Gérard Collard, qui délivre son opinion sur les livres à la télévision. Il présente l’intérêt d’avoir le crâne orné d’une petite houppette, sorte d’antenne par où se diffuse l’autorité littéraire. Gérard Collard, c’est le libraire engagé qui est capable de voler au secours de Guillaume Musso, lequel avait bien besoin de cet appui, et de le placer bien au-dessus de Kundera, considéré comme un vieux gâteux. On comprend pourquoi ce libraire critique fait désormais autorité : il ne va pas du tout dans le sens du vent. Il résiste. Savez-vous qui est aujourd’hui, samedi 7 octobre, l’invité de La Griffe Noire ? Encore un auteur méconnu qui a besoin d’être soutenu : Patrick Sébastien. Si vous habitez dans le secteur, foncez vous faire dédicacer un livre, ça en vaut la peine. Si Nabilla sort un nouveau livre, j’espère qu’elle signera à la Griffe noire. On n’est pas snob comme les critiques parisiens, à la Griffe noire, on aime l’authentique. Et les auteurs qui rapportent. Merci à la Griffe noire d’effectuer le travail que j’évoquais plus haut : le soutien à la vraie littérature.
          Si on estime, sans doute à raison, que tout le monde ne peut pas lire et aimer Novarina ou Pierre Senges, un peu trop difficiles, OK, est-ce que pour autant on en est réduit à Musso ou Sébastien ? Je ne crois pas. Il y a des quantités de livres très lisibles, d’excellente qualité, qui disent quelque chose de notre monde.  
          Je ne suis pas libraire et je n’ai pas de houppette, ce qui diminue sensiblement mon autorité, mais bon, si je me mets un petit chapeau de clown, ça le fera peut-être. Et c’est ainsi coiffé que je me sens autorisé à dispenser la bonne parole sur ce blog.  Ceci est un choix partiel partial et illégitime. Mais bon.
          Je lis tout ce que publie Philippe Videlier, et je ne suis jamais déçu. Dans Dernières nouvelles des bolcheviks (Gallimard), il s’attaque carrément, après le génocide arménien, la Chine de Mao et Aden, à l’histoire de l’Union soviétique. C’est terrifiant et tragiquement drôle, comme il sait le faire. Le livre porte en sous-titre « nouvelles », mais ne vous y laissez pas prendre, c’est en fait une sorte de récit discontinu, génialement ponctué par les délires théoriques de Malévitch. Encore une fois, on n’en parlera pas, on n’en vendra pas des kilos, alors que des dizaines de milliers de gens pourraient lire ça sans difficulté, et réfléchir un peu plus qu’avec du Patrick Sébastien. Trop demander, sans doute.
          Dans un genre plus léger, et plus populaire, j’ai dévoré le dernier Pascal Fioretto (notre meilleur parodiste), Nos Vies de cons de A à Z (l’Opportun). Dictionnaire désopilant des tics de la modernité, qui a la subtilité de n’être pas vraiment un réquisitoire, puisque l’auteur s’inclut volontiers dans ce dont il se moque, des hipsters aux call centers, des cadres aux gastromaniaques, de Paris plage aux téléramanes, des Fêtes des voisins aux geeks. Il sait aussi être émouvant, dans les excellents « Instit », « Gay » ou « hardeuse » : « Avec ses jambes ouvertes et accueillantes, ses yeux tristes et ses râles de jouissance feinte, la hardeuse contribue à apaiser les corps solitaires et parle, en volumes mais surtout en creux, de la misère des âmes sans amour ».  
          J’ai rencontré Laurent Chalumeau dans un des plus beaux festivals littéraires auxquels j’ai été convié (il dispute la palme à  l’Intime festival de Namur), Libri Mundi, à Bastia. Je ne connaissais rien de lui, j’ai été séduit par son humour, la justesse de sa manière d’approcher la littérature, je me suis jeté sur son dernier livre, VIP (Grasset) dont la lecture m’a quasiment obligé à avaler aussitôt un précédent, KIF. J’ai été épaté par l’énergie, l’humour, la noirceur de ces polars, qui n’ont rien à envier à ce que font les Américains. Et surtout par la langue, contemporaine, vivante, juste, jouant des ressources de l’argot et de la langue classique. Une découverte.
          Enfin bon, tout ça, hein, ça reste snob ça ne vaut pas un bon Patrick Sébastien.   

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